Le chevreuil

Hier, quand Françoise est rentrée, ça se voyait que ça n’allait pas. Elle avait une drôle de tête. Elle est venue nous donner notre pâtée. Et puis elle s’est assise sur la palette du poulailler. Je me suis installée à côté d’elle. La petite faisane s’était envolée sur une haute branche du grand chêne. Cracotte et Dorycotte picoraient quelques derniers grains de riz. Fricotte s’installait pour pondre.

– J’ai tué un chevreuil, elle m’a dit.

Évidemment, c’était embêtant.

– Je n’ai pas pu l’éviter… Il est mort…

Elle avait les larmes aux yeux.

– Et maintenant, il est  seul. Tout seul. Pour toujours.

Il s’était mis à neigeoter. Les flocons voltigeaient, légers comme des duvets. Ils se posaient sur notre plumage, sur les cheveux de Françoise. Elle avait les yeux dans le vague. Elle était revenue dans ce champ, au bord de la route où un jeune chevreuil avait rencontré son destin, dans l’insouciance d’un moment.

La neige tombait plus drue, à présent. Elle tombait sur le poulailler et le pré au-delà. Elle tombait sur les collines au loin. Elle tombait par-delà notre monde. Elle s’amassait sur les branches, les ronciers et comblait les fossés. Elle tombait impassible sur le cadavre du chevreuil. Nous n’avions pas bougé, l’une et l’autre, et nous regardions tomber la neige, silencieuse et implacable, sur tous les vivants et les morts.

chevrette

 

Françoise me lit souvent des histoires, les soirs d’été. Et parfois, il m’en reste des mots dans la tête. Là, je crois qu’il me restait des mots d’une histoire de James Joyce et d’une autre de Joseph Kessel.

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